mardi 13 mars 2012

La garde partagée : un mode de vie innovateur

Depuis belle lurette, les médias font état de conflits sur la garde des enfants. En effet, quand les parents ne s’entendent pas et que les tribunaux s’en mêlent, tous les éléments sont présents pour faire la une des journaux. Bien des questions surgissent alors dans nos esprits, en particulier sur le sort de ces enfants pris dans les querelles des parents et sur la capacité des parents à voir à leur bien-être dans un contexte de conflits.
Mais, comme le disait il y a plus d’un siècle le philosophe allemand Arthur Schopenhauer, la tâche du chercheur «n’est point de contempler ce que nul n’a encore contemplé, mais de méditer comme personne n’a encore médité sur ce que tout le monde a devant les yeux». En effet, derrière les événements dont les médias écrits et électroniques font leurs choux gras se profilent des transformations sociales profondes en matière de vie familiale et de rôles parentaux. La popularité croissante de la garde partagée n’est que le dernier en ligne d’une série de phénomènes qui ont marqué l’intégration du concept de l’égalité des sexes dans la vie sociale québécoise. Ce qui n’est pas sans causer certains bouleversements et susciter des questionnements.
Deux professeures du Département de travail social et des sciences sociales de l’UQO ont développé des expertises dans ce champ : Denyse Côté mène actuellement des recherches uniques au Québec et même au monde sur la garde partagée et Annie Devault, sur les pères de milieux fragilisés.

Le Québec à l’avant-garde
À l’automne 2005, l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes permettait de constater que «la diversité croissante des modalités de garde est particulièrement marquée au Québec». Cette enquête souligne également que «les enfants du Québec avaient aussi beaucoup plus de chances de vivre avec leur père après la séparation» et de faire l’objet d’une garde partagée que les enfants ailleurs au pays.
Mais comment en sommes-nous venus là? Selon Denyse Côté, une des rares spécialistes mondiales de la garde partagée, «La courte durée des unions conjugales dans le Québec contemporain a amené la mise en place de mécanismes sociaux et institutionnels permettant d’assurer la transition entre différents états familiaux, en particulier en ce qui a trait à la garde des enfants. Ceci s’est conjugué au fait que divers courants et groupes sociaux, ainsi que plusieurs individus, intègrent déjà l’égalité hommes-femmes dans leur recherche de solutions». La grande majorité des parents qui se séparent trouvent, en effet, de leur propre initiative et avec l’aide de leur entourage, des services de médiation ou autres services professionnels de même que des modalités de garde qui leur conviennent ainsi qu’à leurs enfants : garde maternelle, garde paternelle ou garde partagée. Au Québec, dans tous ces cas, sauf s’il y a eu interdiction formelle décrétée exceptionnellement par le Tribunal, les deux parents conservent leurs droits et obligations envers leur enfant ou leur «autorité parentale» conférée par le Code civil après une séparation ou un divorce.
Denyse Côté est sociologue et directrice de l’ORÉGAND (Observatoire sur le développement régional et l’analyse différenciée selon les sexes). Elle s’est intéressée à ce phénomène sous l’angle de la transformation des rôles parentaux et de l’intégration du concept de l’égalité hommes-femmes au sein de la famille. À cet effet, bien qu’elle soit convaincue qu’il n’existe pas, comme le confirme la littérature scientifique, de mode de garde qui soit supérieur, elle constate que la garde partagée illustre bien la recherche de modes de vie qui intègrent des visions plus égalitaires des rôles sexuels. «L’histoire de l’humanité nous révèle très peu de cas où père et mère ont assumé conjointement les soins des enfants, cette tâche étant habituellement confiée aux mères plutôt qu’aux pères, expliquet-elle. Mais la popularité de la garde partagée est telle au Québec qu’elle sert parfois même de modèle de partage des tâches parentales aux jeunes parents non séparés et à double insertion professionnelle!»
Cependant, cette popularité de la garde partagée fait en sorte qu’on y réfère souvent sans vraiment savoir de quoi il s’agit. À l’origine, la garde physique partagée (appelée résidence alternée en France) était un arrangement selon lequel un enfant résidait 50% du mois chez chaque parent. Depuis quelques années, le
gouvernement du Québec considère que si un enfant partage sa présence dans une proportion 40/60 chez ses parents, il y a garde physique partagée. Il ajuste alors les pensions alimentaires en conséquence. «Eh oui, contrairement à la légende urbaine, s’il y a une différence notable entre les revenus du père et ceux de la mère, il y aura, même en situation de garde partagée, versement de pension alimentaire pour l’enfant au parent le moins fortuné, commente Denyse Côté. On considère, en effet, que l’enfant doit conserver le niveau de vie dont il jouissait avant la séparation.» Par ailleurs, le calendrier de la garde peut aussi varier : rotation hebdomadaire, deux semaines en alternance chez chaque parent ou alternances multiples.
Dans le cadre de ses travaux de recherche sur la garde partagée, qui ont fait l’objet de sa thèse de doctorat, d’un livre et de nombreux articles, conférences et cours, Denyse Côté a également découvert que l’organisation d’un calendrier et de rythmes de vie stables dans chacun des domiciles parentaux, la sédentarité géographique des parents ainsi que leurs efforts réels de mener à bien conjointement l’éducation de leur progéniture font en sorte que la vie des enfants ne se trouve pas aussi perturbée que le stéréotype le laisserait croire. «Les enfants dont les parents ont choisi de plein gré la garde partagée ne sont ni ballottés entre des parents en conflit, ni constamment dans des valises, ni laissés à eux-mêmes.» Les entrevues qu’elle a faites auprès d’enfants en garde partagée le confirment. Certains parents ont même perfectionné le système d’échange au point où ils peuvent à la fois limiter leurs propres contacts (car s’ils se sont séparés, c’est qu’ils ne veulent plus partager leurs vies personnelles) et faire bénéficier les enfants au maximum de leur présence et de leurs ressources.
Chez ces parents, les tâches de soin et les tâches éducatives sont réparties de façon beaucoup plus «égale» que dans la moyenne des couples québécois, séparés ou non. Mais les recherches de la professeure Côté démontrent tout de même que la plupart des mères assument une plus grande part du fardeau économique ainsi que du fardeau des tâches. «Celles-ci préféreraient que leur ex-conjoint s’investisse plus, mais elles demeurent tout de même très satisfaites de leur situation.» Pourquoi? «Parce qu’elles tiennent à ce que leur enfant ait un contact soutenu avec son père, parce qu’elles ont très confiance dans les capacités parentales de celui-ci et parce qu’elles trouvent que leur propre charge est plus légère que celle de leurs consoeurs monoparentales, précise Denyse Côté. Enfin, elles disent avoir développé avec leur ex-conjoint une complicité qui leur apporte beaucoup en ces temps où les grands-parents et le réseau de support familial sont moins disponibles.»

La garde partagée donne de meilleures chances aux pères de milieux fragilisés
Signataire de nombreux articles portant sur le thème du rôle et du maintien de l'exercice du paternel après une rupture conjugale, Annie Devault part du principe que «c’est une minorité de pères qui ne veulent pas s’occuper de leurs enfants». Affirmant que «les mères ont encore beaucoup de pouvoir dans la sphère privée de la famille, et en particulier au niveau des soins et de l’éducation des enfants», les pères sont, par conséquent, «souvent prêts à faire des concessions importantes pour voir leurs enfants, comme déménager près du lieu de résidence de la mère ou encore refuser des promotions. Les pères les plus blessés par un divorce sont ceux qui étaient présents avec leurs enfants». La psychologue mentionne que la dépression voire même des idées suicidaires peuvent survenir chez plusieurs pères après une séparation.
Pourtant, tout comme sa collègue Denyse Côté, Annie Devault constate que la situation peut être dramatique pour les enfants s’il y a des conflits entre les parents. «Ce sont ces conflits et les tensions, et non pas le divorce en soi, qui provoquent les effets les plus néfastes chez les enfants.» Propos renforcés par Jean Gervais, directeur du Module de psychoéducation à l’UQO, qui rapporte qu’un père demandait à son enfant de se changer chaque fois qu’il venait chez lui, de façon à ne pas voir les vêtements que la mère lui avait mis sur le dos. «C’est ce genre de situations qui font que les enfants ne sont pas autorisés à aimer les deux parents, explique M. Gervais. Les gardes d’enfants qui sont réglées à coup de procès laissent, en général, des séquelles dans l’univers infantile, de poursuivre ce spécialiste des relations parents-enfants.» Propos semblables tenus par la psychologue Francine Cyr, de l’Université de Montréal : «Pour les enfants qui s’adaptent difficilement aux changements, qui entretiennent des relations conflictuelles avec un de leurs parents ou encore qui sont pris à témoin dans les conflits conjugaux, la garde partagée peut être éprouvante».
Et pourtant, en dépit de ces dérapages, Annie Devault croit fermement au rôle de la garde partagée dans le maintien des liens entre le père et sa progéniture. L’expérience professionnelle de la docteure en psychologie l’a même amenée à s’intéresser aux pères qu’on dit plus vulnérables dans la société, ces pères qui ont souvent moins de 25 ans et qui vivent en contexte de pauvreté. À titre de membre d’un projet de soutien à l’engagement paternel (ProsPère) du GRAVE-ARDEC (Groupe de recherche et d'action sur la victimisation des enfants - Alliance de recherche pour le développement des enfants dans leur communauté), Annie Devault s’intéresse à la paternité en milieux fragiles, à ces pères qui appartiennent à des gangs de rue, qui sont détenus ou qui ont des problèmes de toxicomanie. Et même dans ces cas dramatiques, la chercheure se pose la question : faut-il systématiquement refuser la garde partagée à ce type de pères? «L’arrivée d’un enfant dans la vie de ces hommes est souvent un moment charnière dans leur existence, soutient Annie Devault. C’est le moment où ils peuvent se prendre en main. Ils vont vouloir changer de mode de vie, devenir un citoyen à part entière et subvenir aux besoins de cet enfant.»
Pour étayer sa thèse, elle cite l’exemple des travaux de sa collègue Diane Dubeau, du Département de psychoéducation et de psychologie de l’UQO, réalisés dans le cadre du projet Grandir sainement avec un père détenu. Ce projet offre des ateliers de sensibilisation aux pères détenus sous deux volets : le volet «enfant», visant à prévenir les problèmes d’adaptation chez les enfants dont le père est ou a été incarcéré, et le volet «père», destiné à améliorer les compétences parentales des pères séjournant en maison de transition.

Que faire lorsqu’il y a violence?
La popularité actuelle de la garde partagée au Québec entraîne dans son sillage une généralisation ainsi qu’une normalisation de ce mode de garde. «La garde partagée permet effectivement le maintien d’un lien soutenu entre l’enfant et le père séparé/divorcé, signale la professeure Côté, et il s’agit de la raison principale qui pousse les mères aussi bien que les pères à la choisir.» Mais si la garde partagée se généralise, que faire lorsqu’il y a violence conjugale? «On sait maintenant que cette violence peut continuer suite à la séparation : selon le ministère de la Sécurité publique du Québec, le taux de voies de faits et autres actes de violence commis par des ex-conjoints ou ex-conjointes est d’ailleurs en nette progression, rapporte Denyse Côté. Or, si la garde maternelle et la garde paternelle permettent de limiter les contacts entre la victime et son agresseur, la garde partagée, au contraire, les multiplie.»
On s’entend pour condamner toute violence faite aux femmes, mais «il n’est pas dit que l’homme va transposer celle-ci sur ses enfants lorsqu’il en aura la garde, avance Annie Devault». «C’est tout à fait vrai, acquiesce Denyse Côté. Dans de nombreux cas, les gestes violents envers un ex-conjoint ou une ex-conjointe ne visent pas directement l’enfant. Ils créent cependant un contexte malsain et même nocif pour ces enfants qui en sont témoins. Tout doit donc être mis en oeuvre pour que cette violence diminue.» Mais comment faire?

Pistes d’avenir
«Il faut d’abord bien comprendre ce nouveau problème», avance la professeure Côté, qui mène depuis 2004, en collaboration avec deux ministères québécois et canadien, la première recherche mondiale sur le thème de la garde partagée en situation de violence «conjugale». En premier lieu, dans les cas où la violence ne s’est pas atténuée suite à la séparation, les occasions de poser des gestes violents, et donc les risques qu’il s’en produise, se multiplient en situation de garde partagée. «La garde partagée crée une situation propice à la poursuite de la violence, explique Denyse Côté. Cependant, ce n’est pas automatique; les gestes violents peuvent cesser. Toutefois, la victime qui a vécu un traumatisme sur une période prolongée et qui cherche à se recréer un environnement pacifique doit constamment composer avec sa crainte de voir les gestes violents se reproduire.»
La professeure Côté rappelle que le système judiciaire a mis en place, depuis quelque temps déjà, des mesures visant à protéger les victimes, et ce, jusqu’au sein des Palais de justice où on s’assure qu’elles n’auront pas à croiser leurs agresseurs. Pourquoi, alors, les victimes de violence conjugale auraient-elles à composer seules avec la garde partagée qui implique des contacts continus sur une très longue période avec leur agresseur? Les femmes interviewées par la professeure Côté affirment en effet se sentir prises au piège. «D’un côté elles tiennent à ce que leur enfant maintienne un contact soutenu avec leur père, mais de l’autre, elles sont dépassées par l’absence de moyens à leur disposition pour assurer leur propre sécurité : c’est la quadrature du cercle.»
Le problème est posé et les solutions restent à trouver. Plutôt que de miser sur l’aspect punitif pour les parents ayant fait preuve de violence auprès de leur conjoint ou de leur conjointe, Annie Devault rappelle qu’il serait plutôt utile de multiplier les services pour les parents violents, les organismes d’écoute téléphonique, les maisons de la famille ou les services de loisirs qui permettent tant aux pères qu’aux mères de passer plus de temps avec les marmots. «Il faut aussi encourager la diversité des modes de garde, soutient Denyse Côté. Le problème, c’est de proposer un modèle unique. Les parents doivent trouver chaussure à leur pied, chaque cas étant différent.» Jean Gervais complète en affirmant «qu’il ne faut pas sacrifier les droits des enfants au profit d’un principe, à savoir la garde partagée».
Peu importe le type de garde utilisé, la qualité de l’interaction entre les conjoints, avant et après la rupture, semble être une clé de voûte pour une adaptation harmonieuse de l’enfant à sa nouvelle vie. Jean Gervais insiste sur le fait que «tout ce qui peut aider à maintenir le lien entre l’enfant et ses parents doit être envisagé; en ce sens, les juges doivent faire la promotion de la médiation».
Pour sa part, Annie Devault est convaincue que dans 10 ans, la garde partagée sera définitivement entrée dans les moeurs, qu’on ne se posera même plus de questions sur sa pertinence. Pourquoi? «Parce que les recherches sur la garde partagée et sur la paternité nous auront montré que les pères, tout comme les mères, possèdent les qualités nécessaires pour bien jouer leur rôle de parent, explique-t-elle. S’il y a de l’espoir pour la garde partagée, cependant, le travail reste à faire à l’endroit des pères de milieux plus difficiles à cause des conditions dans lesquelles ils exercent ce rôle.»
«Une chose est certaine, conclut Denyse Côté, il faut développer des solutions novatrices permettant à la fois d’assurer la sécurité de la victime et de soutenir le lien entre l’enfant et le parent qui aurait commis des gestes violents envers son ex-conjoint ou ex-conjointe. Il reste toutefois vrai que le modèle de la garde partagée est devenu très attrayant au Québec, car il est mieux adapté aux familles à double insertion professionnelle qui ont une vision symétrique des rôles parentaux».
Source : SAVOIR Outaouais, le magazine de l’Université du Québec en Outaouais. Volume 7. Numéro 1. Hiver 2007
Page reliée : La garde partagée : l’équité en question, Denyse Côté

1 commentaire:

  1. Mon papa je l'aime beaucoup, je suis très proche de lui et j'en suis fière. Je sais que mon papa n'a pas toujours la vie facile , mais il est toujours souriant malgré tout. Il a toujours été la pour moi, j'ai confiance en lui, il me protège tout en me laissant vivre ma vie. Ils a tout plein de qualiter que j'admire bien sur il n'est pas parfait comme nous tous mais je l'aime comme sa mon petit papa d'amour de plus sais tellement important dans la vie d'un enfant un père ♥

    Jet'aime Denis Veilleux

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